Il fut un temps où l’homme levait les yeux vers les étoiles et y voyait des dieux, des monstres, des destins cousus dans le velours noir du ciel. Avant les télescopes et les satellites, c’étaient les mythes de la création qui racontaient notre origine, notre raison d’être, notre place dans l’univers. Et ces mythes étaient des architectures symboliques, des manières de penser le temps, la matière, la vie, la mort. Aujourd’hui encore, leurs échos résonnent dans nos œuvres d’art, nos vêtements, nos rêves les plus profonds.
Partons à la découverte de 6 cosmogonies mythiques – puissantes, poétiques, parfois terrifiantes – qui continuent d’inspirer notre regard sur le cosmos.
1. La mythologie Nordique : un monde né du choc entre glace et feu
Au commencement, il n’y avait que le vide – le Ginnungagap, un abîme silencieux entre deux royaumes :
- au nord, Niflheim, un monde de glace, de brume et de froid éternel
- au sud, Muspelheim, un royaume de flammes et de chaos ardent.
De la rencontre de ces deux extrêmes naquit Ymir, le premier géant, et Audhumla, la vache primordiale qui lécha la glace pour faire émerger le premier dieu, Búri. Mais c’est surtout le corps d’Ymir, tué par Odin et ses frères, qui devint la matière du monde :
- son sang forma les océans,
- sa chair, la terre,
- ses os, les montagnes,
- et son crâne… le ciel, soutenu par quatre nains.
Ce mythe forge une vision du monde où l’univers est fait de sacrifice, d’équilibre entre opposés et de mémoire corporelle des dieux eux-mêmes. Un cosmos vivant, structuré, mais toujours menacé par le retour du chaos : le Ragnarök, avant le retour à l’harmonie.
2. La cosmogonie Égyptienne : le lotus sacré sur l'océan du Néant
Chez les anciens Égyptiens, le monde naît des eaux primordiales, appelées le Noun. C’est une mer sans rive, sans fond, pleine de potentiel mais vide de forme. Et puis, soudain, surgit la butte sacrée – une île, un mont, un premier "sol" : l'analogie avec la crue du Nil est évidente. Sur cette butte, le dieu Atoum apparaît, souvent représenté dans un lotus ouvert. Il se crée lui-même, puis donne naissance à Shou (l’air) et Tefnout (l’humidité), qui donneront naissance à Geb (la Terre) et Nout (le Ciel). Mais Nout et Geb s’aiment trop fort… alors Shou les sépare. Nout devient la voûte étoilée, arquée au-dessus du monde, et Geb repose sous elle, parsemé de montagnes.
Ce mythe donne naissance à une vision du cosmos comme un souffle rythmé par l’eau, la lumière et l’amour séparé. L’univers devient un organisme vivant, où chaque élément est une divinité à honorer.
3. Le rêve Aborigène : un monde chanté dans l'invisible
Chez les peuples aborigènes d’Australie, le monde a été chanté dans l’existence par les êtres du Temps du Rêve (Tjukurpa). Ce n’est pas un moment passé, mais un temps hors du temps, toujours accessible pour ceux qui savent écouter.
Les Ancêtres totémiques – Serpent Arc-en-ciel, Kangourou, Lézard, Émeu – ont traversé la terre, traçant les rivières, soulevant les montagnes, creusant les gouffres, en laissant derrière eux des "lignes de chant". Ces lignes ne sont pas des routes physiques, mais des itinéraires spirituels, que l’on peut suivre en chantant les bons mots, au bon endroit.
Ce mythe offre une cosmogonie sans séparation entre matière et esprit, entre visible et invisible. L’univers est un réseau de vibrations, de récits sacrés et de mémoires ancestrales, que l’on réactive à chaque chant, à chaque pas conscient.
4. Le mythe Aztèque : cinq soleils et des mondes dévorés par le feu, l'eau et les jaguars
Pour les Aztèques, le monde actuel est le cinquième d’une série de créations et destructions cycliques. Chaque ère fut gouvernée par un soleil – et chacune s’effondra dans une catastrophe :
- Le premier monde fut mangé par des jaguars.
- Le second fut soufflé par le vent.
- Le troisième fut consumé par le feu.
- Le quatrième noyé sous les eaux.
- Et le cinquième… le nôtre, est gouverné par le dieu Tonatiuh, mais il tombera un jour, lui aussi.
Ce mythe nous enseigne que le monde est fragile, éphémère, toujours suspendu à la volonté des dieux. Mais il célèbre aussi la bravoure humaine : les dieux se sont sacrifiés pour allumer le soleil actuel, et c’est grâce aux rites humains qu’il continue à se lever. Le cosmos aztèque est donc un théâtre sacré, où l’humanité entretient la lumière par le sang, la danse et la prière.
5. Le mythe Chinois du géant Pangu : scission du yin et du yang
Dans la tradition chinoise, l’univers était d’abord un œuf cosmique, contenant en son sein le chaos primordial, sans forme ni limite. Puis Pangu, le premier être vivant, s’éveilla dans cet œuf. Armé d’une hache céleste, il fendit l’œuf en deux :
- le yin, lourd, forma la Terre,
- le yang, léger, devint le Ciel.
Pendant 18 000 ans, Pangu grandit et sépara lentement les deux moitiés, tenant le ciel au-dessus de sa tête pour éviter qu’il ne s’effondre. À sa mort, son souffle devint le vent, ses yeux le soleil et la lune, son sang les rivières, ses os les montagnes… et ses puces ? L’humanité. Le mythe de Pangu est à la fois épique et humble, cosmique et organique. Il raconte un monde fondé sur l’équilibre et le sacrifice, entre les forces opposées de l’univers.
6. La cosmogonie polynésienne : un monde né d'un amour interdit
Dans les mythes hawaïens et polynésiens, tout naît du couple primordial : Rangi (le Ciel) et Papa (la Terre), enlacés si étroitement que leurs enfants divins naissent dans l’obscurité. Étouffés, les dieux-enfants décident de les séparer :
- certains veulent tuer leurs parents,
- mais Tāne, dieu de la forêt, propose de les écarter avec douceur. Il pousse le ciel vers le haut avec ses jambes, tandis que la terre reste sous ses bras. La lumière inonde alors le monde.
Mais les larmes de Rangi et Papa continuent de tomber, créant les pluies, les rivières et l’humidité du monde. Ici, le cosmos est issu d’un amour fusionnel devenu distance créatrice. Le ciel et la terre ne sont pas ennemis, mais amants séparés, qui pleurent encore leur union perdue.
Le ciel comme miroir de nous-mêmes
À travers ces six cosmogonies, on découvre que la création du monde est aussi la création de sens. Chaque culture regarde le chaos, la nuit, le vide… et y insuffle une histoire, une origine, une voix.
Ces mythes ont influencé notre langage, notre art, nos vêtements, nos architectures et même nos philosophies modernes. Et ils nous rappellent, chacun à leur manière, que le monde n’est pas un objet froid mais une matrice vivante, vibrante, racontée. Peut-être qu’en regardant les étoiles, ce n’est pas l’infini qu’on contemple… mais notre propre mémoire, tissée de feu, de chants et de divinités oubliées.